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Donner de la consistance à une action aussi inutile que l’alpinisme n’est pas chose aisée. A l’heure des éboulements, du pergélisol qui se meurt, d’un monde en contraction énergétique et climatique avec toutes les conséquences que cela induit, le caractère désuet de l’alpinisme n’a jamais été autant apparent. Pourtant chaque pratiquant évoluant en altitude cet été aura intégré que des points de bascule ont été franchis et qu’il convient d’interroger notre rapport au monde pour en dégager nos contradictions et identifier le mal. Les stigmates résultant de ces vagues caniculaires peineront à s’estomper. L’alpinisme est une de ces activités directement victime du changement climatique, avec une augmentation des phénomènes géologiques irréversibles. Les hivers pauvres en précipitations, n’arrivent plus à compenser cette fonte exponentielle qui nous laisse les glaciers en fin d’été, les tripes à l’air, avec le spectre d’évoluer l’hiver sur de véritables champs de mines.

Actuellement le terme galvaudé se nomme « adaptation ». Mais qu’est ce donc réellement sinon le fait de perdre, d’années en années du terrain, au regard de la détérioration des supports, sur lesquels nous grimpions naguère insouciants? Personnellement cela fait des années que j’essaie de prendre ma part. J’ai assimilé que, aussi singulière soit-elle, la pratique de l’alpinisme ne justifie pas tout et surtout pas tous les impacts

« aussi singulière soit-elle, la pratique de l’alpinisme ne justifie pas tout et surtout pas tous les impacts »

En titrant son ouvrage « les conquérants de l’inutile » Terray ne pouvait pas mieux nous définir. Notre activité de niche, réservée à des gens financièrement privilégiés, s’articule autour du loisir, de la futilité, et de concepts comme le dépassement des limites, que les équipementiers ont bien pris soin de relayer et  monétiser via un marketing de longue haleine. Comme beaucoup j’ai démarré l’escalade et la montagne avec pour modèle et échelle de valeur ceux qui grimpent le plus fort, le plus vite, le plus haut, le plus loin. Mais au fond n’est ce pas un leurre voire une erreur fondamentale? 



Désormais formateur en entreprise après de belles expériences dans l’énergie éolienne, je travaille avec des gens (ingénieurs, techniciens, opérateurs) , qui me poussent à l’humilité et à revoir mon paradigme; je déconstruis en particulier cette échelle de valeur qui m’a animé durant tant d’années où le performer endossait ce rôle, à demi déifié, de celui qui tutoie les étoiles depuis les cimes immaculées.

Personnellement, des montagnes comme le Cerro Torre, le Fitz Roy ou le Dénali m’ont toujours fait rêver mais  je n’y suis jamais allé. Au début je manquais de moyens et de clairvoyance; puis lorsque je les ai eus j’ai enterré ces projets. L’ivresse des cimes doit comme tant d’autres loisirs s’éduquer et être mise en perspective avec la soutenabilité . Impacter l’espace commun au nom de la beauté des montagnes, de l’exotisme ou autre alibi me semble intellectuellement indéfendable, à l’heure de l’urgence climatique. D’aucuns diront que je catégorise et mets les individus dans des cases. Pourtant c’est faux; ces derniers s’y mettent tout seuls, d’eux mêmes. Il n’y a aucun jugement, simplement du constat; et le constat révèle nos actions et nos contradictions. Bien sur nul n’est parfait, lorsque je regarde ma penderie remplie de fringues Arcteryx manufacturées dans les usines vietnamiennes, j’ai conscience du poids environnemental qui fut nécessaire de l’extraction de la matière, en passant par la transformation pétrochimique jusqu’à la distribution; chose que nous nommons en industrie les énergies grises ou intrinsèques.

Par extrapolation, on pourrait questionner aussi la raison d’être d’évènements outdoor comme l’UTMB (et équivalent). Venir des quatre coins du globe, de l’Europe et de l’hexagone pour se challenger autour du massif du Mt blanc est il soutenable? En terme d’impact carbone c’est un véritable naufrage. Mon regard de local perçoit plutôt une belle machine à cash, véritable réussite commerciale, qui permet à cette vallée, pleine de paradoxes, de remplir ses caisses pour faire perdurer le business as usual, au même titre que le commerce de l’or blanc en période hivernale. Pourtant il est certain qu’il va falloir revoir le logiciel et entreprendre un update. Je note que de belles prises de position par des sportifs influents tel que Xavier Thévenard ont lieu; les mauvaises langues disent qu’il est sportivement sur la fin et cherche à occuper l’espace  médiatique. Qu’importe car ce qu’il dit est vrai et indispensable pour quiconque aime véritablement les écosystèmes dans lesquels nous éprouvons notre liberté.



L’arête sud de l’aiguille Noire de Peuterey

Nom légendaire, profil gravé dans le ciel, grande ambiance, escalade magnifique, tout concourt à faire de « la Sud de la Noire » la course de rêve. Gaston Rebuffat

L’aiguille Noire de Peuterey est un sommet mythique du massif du Mt Blanc. Difficile depuis Courmayeur d’échapper à sa silhouette qui raye le ciel. Un premier passage sur cette montagne en venant de la voie Ratti Vitali en 2016 m’avait permis de mesurer l’engagement que requiert la Noire car en descendre n’est pas chose simple. Je n’avais jamais parcouru l’arête sud. L’idée fait surface et Benoit de Reviers se joint à moi pour cette belle envolée. Le 13 Aout vers 3h du matin nous quittons Chamonix, traversons le tunnel du Mt Blanc et nous garons au village de Peuterey. En mode one push et fast and Light nous traversons la nuit et démarrons l’arête Sud peu de temps après le lever du jour. Le cheminement pas toujours intuitif, sur la première partie de l’arête, nous coûtera quelques erreurs d’itinéraire. Au sommet, le regard figé vers l’horizon j’observe les piliers du mont blanc, grimpés il y’a longtemps. Le fracas des blocs de pierre émanant des piliers du Freney m’émeut. Cet univers qui a tant bercé notre imaginaire se meurt sous nos yeux, au gré d’un dérèglement climatique mortifère. Nous nous engageons sur la longue arête Est. La nuit se joint à nous durant la descente. Mes pensées deviennent troubles avec la fatigue accumulée. Le souvenir de Chloé Graftiaux, virtuose de la grimpe disparue ici maintiendra la vigilance jusqu’au retour sur la terre ferme. La ligne aura répondu à nos attentes, du bel alpinisme classique à domicile..