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Pour décrire ce monde je n’ai que mes mots; un langage similaire à un nuancier pour exprimer, qualifier, quantifier des émotions. 

Le massif du mt Blanc, en ce début d’hiver, s’était drapé de sa plus belle étoffe cristalline, et pouvait évoquer, sans difficultés, les silhouettes patagoniques que mon imaginaire essaime ça et là. L’hétérotopie oserai-je? des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, l’utopie? L’innocence peut être… Un mélange confus, polarisé et diffracté.

Enfant ces formes m’auraient probablement évoqué des forteresses, la mutualisation du chimérique et du prosaïque, du céleste  et du minéral… mais il a fallu grandir… Après tant d’années, ces cimes inhumaines balayées par les vents, ossifiées par le givre réussissent encore à magnétiser mon regard. Alors de ma petite taille comparé à ses géants, je pars inlassablement à la recherche de mes châteaux…

L’absente cet hiver fut véritablement la morsure du froid. La saison de glace aura été asynchrone, en dent de scie, voire fractale . Malmenées par des températures erratiques les structures glacées – littéralement en fibrillation thermique – nous échappent et nous rejettent pour qui veut grimper localement sans user de l’avion et défoncer la planète.

L’art du glaciériste consiste à s’adapter et se frayer un passage dans les nervures d’une matière protéiforme qui le fige, le corsete, le repousse. L’écueil serait de penser qu’il est possible de rester sur ses acquis . Comme tant d’autres pratiques que peut nous offrir la montagne, la glace ouvre les portes d’un ailleurs autant subtil qu’hostile ; une dimension dans laquelle les décalages entre ce que nous imaginons être et ce que nous sommes réellement se payent sévèrement. Un exutoire privilégié… Peut-être est-ce là le point nodal? envisager et accepter cette mutation permanente; se transformer à chaque fois. Tenter d’être probe avec soi même, faire en sorte que ce décadrage vertical mène à un réalignement intérieur.

Pactiser avec la glace reste singulier car il s’agit là de jouer avec les codes de la nature. Jouer sur sa temporalité, sa saisonnalité, attendre patiemment qu’elle se fige – tant bien que mal de nos jours – Les codes changent alors… puis c’est le temps de l’inflexion, ce moment où le lien avec sa plasticité s’établit.

La crudité de l’environnement qui fait convulser l’âme et le cœur survient ainsi et ne laisse plus place qu’à la transcendance ; sortir de soi même , devenir un autre, s’innerver de la matière en la déchiffrant, au mieux .

Parmi les lignes visitées cet hiver Repentance super, encore… Comment ne pas rester sous le charme de cette structure dressée vers le ciel au dénominatif si percutant?

Se repentir défini à mon sens le désir de vivre en pleine conscience, ne pas être dans le déni. Arguer que l’on peut développer un rapport holistique à soi-même; comprendre que si nous sommes capable du meilleur nous avons aussi en nous le pire: La lumière, les mystères, les misères. Des pôles dont nous ne pouvons nous détacher. La repentance c’est peut-être la compréhension d’un problème axiologique, la volonté de corriger la trajectoire pour devenir une meilleure personne. Le but d’une vie pour tout un chacun… Comme me disait une amie : « Affiner les angles, mettre la lumière dans les recoins sombres. Renaître de sa souffrance, comme renaître de ses cendres. Bruler ce qui ne sert plus et laisser la place au nouveau Soi, celui qu’on choisi vraiment. »

Cet article pourrait se poursuivre longuement car les mots ont pour moi une importance particulière. Ils me permettraient de donner corps et vie aux lignes et escapades grimpées, skiées cet hiver. Les énumérer, vous noyer de descriptif, dans un récit auto centré de plus; le genre d’exposé qui – moyennant quelques errances – trouverait potentiellement sa place dans un séminaire de CSP+ en mal de sensations; voyant via notre pratique de la montagne, des liens avec l’entreprenariat; comme pour justifier le productivisme, la rentabilité, la stratégie et autres billevesées.

Sauf qu’en montagne on peut mourrir… mais surtout quel biais de l’esprit que d’établir ce parallèle, bouturer le prosaïque et l’immatériel…

J’ai jeté ici et là quelques images de l’hiver, les connaisseurs reconnaîtront, au final elles se suffisent à elles mêmes.

Pour être honnête les mots me manquent et j’ai du aller puiser de la matière dans ma besace pour réussir à écrire, trouver du sens. Nos vies sont faites de rencontres, de trajectoires imprévisibles, impromptues parfois; une nébuleuse emplie de névroses, de douleurs, mais aussi de joies, d’espérances .

En altitude, à la verticale, encordés, bien des sensations et des sentiments sont décuplés, galvanisés et des amitiés sincères; pour ne pas dire incandescentes.

D’aucunes s’avèrent révélatrices…

David Vigouroux est de ces quelques personnes qui ont intrinsèquement compté et façonné ma trajectoire en alpinisme. Nous avons partagé la corde tant de fois, en Auvergne, dans les Alpes, dans les Pyrénnées, tant d’onglets en cascade, de run out en parois,  de belles soirées, avec Trust / antisocial  en fond sonore.

« Mieux vaut perdre 5 minutes à s’assurer que perdre la vie en 5 minutes » me disais tu. Sauf que parfois cela ne suffit pas…

David avait un caractère opposé au mien; alors que je pesais mes mousquetons sur une balance brabantia, il emportait un roman dans un sac bien trop lourd, pour bivouaquer. Grimpeur humble et talentueux, je jalousais son aisance quand il s’échauffait dans les voies qui étaient mes projets à la salle des Houches, avant de poursuivre par un burger et une bière au Kitsch Inn, toujours sans prétention.

Partir avec lui en montagne était la promesse d’un joyeux bordel, bien loin des chronomètres, et de cette efficience surannée que notre société nous inculque. Tendre vers le contemplatif, la simplicité, la bienveillance c’était son crédo. Il nuançait mon esprit manichéen avec son éternelle formule « pas forcément » et j’aimais l’imiter avec humour.

David est parti retrouver son frère Jean-Pierre disparu trop tôt lui aussi. Certaines paroles reviennent comme des réminiscences : « tu sais vieillir c’est bien, c’est un luxe que tout le monde n’a pas ».

Ils reposent aujourd’hui en face de chez mes parents, dans le Cantal; la terre du milieu comme on aimait l’appeler.

C’était quelqu’un de bon qui me manquera beaucoup.