Sélectionner une page

Je garde un souvenir marquant de l’éperon Croz. Il s’agissait pour Gaylord Dugué et moi de notre première ascension en face nord des Grandes Jorasses et n’ayont pas peur des mots, cette paroie, même avec des conditions favorables, demeure intimidante. Notre choix d’itinéraire s’est porté sur la combinaison Slovène / Croz à la pointe éponyme.

Le train du Montenvers étant fermé, nous partons à pieds de Chamonix pour une odyssée géomorphologique. Au fur et à mesure de la journée d’approche, nous laissons derrière nous le monde végétal, puis retrouvons le granit et les glaciers, avant une courte nuit au refuge de Leschaux.

Nous serons trois cordées dans la face. Peu après avoir passé la rimaye je suis percuté dans la nuit à la tête par une pierre ou bloc de glace; difficile à évaluer dans l’obscurité. Mon casque Petzl est brisé, et je serai accompagné toute la première moitié de l’itinéraire de nausées.

Néanmoins l’escalade est grisante et les conditions de placages correctes jusqu’à la goulotte de sortie… à cet endroit la glace meurt et laisse place à des pitons cassés et du granit qui se délite. Je m’engage dans la longueur lesté par mon sac à dos qui pertube mon centre de gravité et m’entraine vers le néant. Mon choix de crampons bipointes s’avèrera mauvais dans ce passage dry. Je reviens au relais et nous inversons les rôles. Gaylord part léger sans sac, ses protections seront quasiment inexistantes. En second dans ce passage aérien, je me retrouve encordé à simple sur un brin d’ice twin en 7mm avec son sac à décoincer sur l’autre. Sensations assurées! Derrière nous le leader de la cordée qui nous talonne tombera dans ce passage. Son sac et le matériel de bivouac lui sauveront les vertèbres. Nous foulons l’arête sommitale et nous engageons dans la ligne de rappels versant italien.

Nous arrivons à Bocalatte peu après la tombée de la nuit. Le lendemain au réveil, je regarde mon casque. Ce dernier a désormais un cratère sur la calotte externe et s’avère explosé de toutes parts à l’intérieur.