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Avec le temps l’ascension du pilier rouge du Brouillard par la voie Bonatti s’est démocratisée au point d’en devenir une classique de premier ordre. Difficile de détourner le regard dans des lieux aussi reculés que cet Envers du Mt Blanc, de la beauté colorée du granit orange que la Bonatti offre.

J’ai eu la chance de parcourir cette voie avec un grimpeur que j’apprécie beaucoup et qui déborde d’énergie, Thibault Lacour. Grimpeur sportif accompli, Thibault porté par l’envie de gouter à ce morceau d’histoire alpinistique, m’avait rejoint de nouveau à Chamonix en cet été 2013. Une dizaine de jours avant nous avions grimpés la Pascal Meyer au Bec d’Oiseau depuis le train, avec une idée idiote; ne pas dormir au refuge, mais au contraire pousser au maximum dans l’itinéraire avec des sacs surchargés comme si nous allions à Peuterey .

Cet entraînement commando avait surtout révélé que prétendre à l’escalade libre dans des longueurs frolant le 6b avec des sacs lourds comme des enclumes, est aussi efficace que de vouloir faire des doigts d’honneur avec des moufles.

La montée à Ecles demeure une mise en jambes à ne pas négliger. J’écris cet article en 2022 avec du recul, mais à l’époque je partais comme une balle à l’approche quitte à perdre 5l d’eau; aujourd’hui j’aborde cette séquence avec lenteur et conserve mes cartouches pour le lendemain. Je prends le temps de m’imprégner des lieux.

Ecles est un havre de paix. Entouré par les piliers de la face sud du Mt Blanc l’histoire de l’alpinisme s’est en partie. déroulée en ces lieux. L’enchainement orchestré par Patrick Berhaut et Philippe Magnin en est une illustration notable.

Nous étions arrivés en fin de journée sur un glacier bien ramoli . Le pilier se dressait face à nous. Du regard nous imaginions chaque longueur comme pour les décripter et saisir la cohérence que Bonatti et ses acolytes avaient eu lors de l’ouverture.

Le lendemain dans la pénombre, nous quittions l’abri avec cette sensation de prendre le large. Au loin dans la vallée d’Aoste les orages détonaient et embrasaient le ciel. Je remontais le couloir bordant le flanc gauche du pilier puis par une traversée horizontale attégnais, R0. A partir de ce point la magie de la synergie pouvait opérer . L’escalade du pilier fut grisante, belle, je me rappelle encore de cette rampe en diagonal sur du quartz. Arrivés en haut du pilier la suite du cheminement via la pointe Louis Amlédée occupait nos pensées, nous n’étions pas au bout de notre effort. Le rocher était fortement délité au début puis la neige s’invitait et devenait notre support privilégié. Les nuages s’accrochaient versant français alors que l’autre était limpide. Nous avancions et étions à l’aplomb du Pilier central du Freney, que j’aurai la chance de grimper plus tard.

Le mont blanc de Courmayeur dépassé nous jettions forces sur le Mont Blanc au grés de la fin de journée. Le temps d’une pause sur la cime des alpes nous savourions  cet instant privilégié d’insouciance au sein de cet espace minéral grandiose. Afin de rester encore un peu accroché à la légèreté, nous retrouvions le refuge du gouter pour une dernière nuit en altitude avant le retour dans la vallée le lendemain.